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 La justice de proximité saccagée.

Note : 3.3/5 (48 notes)

 


Dans l'Humanité de samedi 8 décembre, le point de vue d'Alain Bazot, Président National de l'Association "UFC Que Choisir" sur les conséquences de la réforme judiciaire du gouvernement sur la justice de proximité.

L’UFC-Que Choisir est constituée d’un réseau de près de 170 associations locales qui traitent plus de 120 000 litiges et accompagnent à longueur d’année des consommateurs aux prises avec des professionnels dans leurs démarches pour obtenir le respect de leurs droits. C’est dire si les juges de proximité et les tribunaux d’instance, on les connaît. Cette expérience de terrain du fonctionnement de la justice, de ses points forts, de ses points faibles, la ministre de la Justice n’en a cure. Elle n’a pas cherché à savoir comment le service public de la justice était vécu par ses usagers puisqu’elle mène une réforme les tenant à l’écart.

Si l’occasion nous avait été donnée, dans le cadre d’échanges normaux au sein d’une démocratie moderne, chaque fois qu’une réforme d’ampleur touche les citoyens dans leur rapport aux fonctions de l’État, ici rendre la justice, nous aurions bien sûr acquiescé à l’idée d’une réforme, car à l’évidence de nombreuses évolutions sont à prendre en compte (la démographie, les communications, la dématérialisation) et la rendent nécessaire et urgente.

Mais nous aurions aussi pu dire que s’il y a aujourd’hui une justice proche des justiciables, accessible au plus grand nombre, rapide, offrant les garanties d’un procès équitable, c’est bien celle rendue par les tribunaux d’instance. Il faut la renforcer, la moderniser, pas la démanteler.

Oui, démanteler, car les mesures annoncées par la ministre de la Justice se résument essentiellement en des suppressions massives de tribunaux d’instance qui aboutissent à l’instauration de véritables déserts judiciaires (disparition de près de 40 % des tribunaux d’instance).

Comment peut-on encore prétendre préserver les intérêts des consommateurs justiciables lorsqu’on contraint bon nombre d’entre eux à parcourir parfois plus de 130 kilomètres pour obtenir une décision de justice ?

En dépit des conséquences dramatiques de cette réforme, massivement dénoncées, la chancellerie refuse de revoir sa copie et entend même aller plus loin dans la contradiction en rendant l’avocat obligatoire. C’est ainsi que face à la grogne des avocats installés dans le ressort des tribunaux supprimés, la ministre offre aux représentants de cette profession une extension de la représentation obligatoire par avocat.

Comment peut-on encore défendre l’idée d’une réforme visant à rendre la justice accessible quand les justiciables devront aussi payer des frais d’avocat parfois supérieurs au montant de leur préjudice ?

L’enjeu de cette réforme n’est pas corporatiste, il concerne la société tout entière puisqu’il y va du respect du droit dans ce qu’il a de plus quotidien. Il est aberrant qu’elle soit menée non seulement sans les justiciables principalement concernés, mais contre eux.

La proximité de la justice est une exigence intrinsèque à la justice tout court. Loin de renforcer ce principe, cette réforme remet en cause des éléments fondamentaux de rapprochement justiciable-juge. Le justiciable doit pouvoir facilement rencontrer le juge, physiquement, sans intermédiaires coûteux, sans écrans. C’est une justice en prise directe avec les hommes qu’il faut entretenir chaque fois que la violation des droits est davantage une affaire de loyauté, d’honneur, de respect de la personne, que strictement financière. Certains appellent cela les petits litiges de la consommation. Il n’empêche, la perspective de les confier à un juge s’éloignant, c’est l’écart déjà préoccupant entre les citoyens et leur justice qui se creuse.

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